jeudi 9 décembre 2010

Méthodologie de la dissertation.

Une dissertation fait deux choses : (a) elle construit et répond à un problème; (b) elle argumente.

La dissertation n'est pas un exercice de culture générale, aussi toute référence doit être justifiée par son utilité argumentative. Il faut montrer que l'on est capable d'utiliser sa culture pour penser par soi-même et construire sa propre démarche.

La dissertation n'est pas un texte littéraire comme tel : il est inutile d'y introduire des effets de style, le principal étant la correction, la clarté de la langue et la construction rigoureuse et logique du propos.

La forme de la dissertation est une argumentation, elle ne doit en aucun cas  être trop personnelle ou narrative.

La dissertation est un exercice tant de rigueur que de communication. Pour ces deux raisons, il est utile de clarifier les articulations de votre pensée, chacune de vos affirmations. Il faut viser l'exposition exhaustive de vos idées et des raisons pous lesquelles vous les défendez sous peine de n'être pas compris ou de n'être pas convainquant.

Le sujet n'est pas la problématique : vous devez analyser le sujet pour dégager le problème qui lui est inhérent et qui ne saurait être qu'une simple reformulation. Tout l'enjeu du travail préliminaire est donc de construire un problème riche et significatif. Il faut donc analyser à la fois la forme et les termes de la question pour être sûr de saisir tous les sens, les implications et présupposés du sujet. Il faut savoir ramener le sujet à des domaines de la réflexion philosophique (métaphysique, épistémologie, philo morale, philo politique, esthétique, philo du sujet...). Il faut définir les termes du sujet soit en les rapprochant de synonymes ou en les opposants à des antonymes pour être certain de bien repérer leur sens. Ne pas hésiter à faire un tableau pour cataloguer les significations des termes et les confronter. Noter toutes les questions qui vous viennent sous le tableau ainsi dressé. Ces questions peuvent vous être utile pour poser le problème.

Efforcez-vous toujours d'objectiver vos réflexions, de leur donner un objet concret, pensez à des exemples et ne restez pas dans l'abstraction la plus totale. Inversement, n'en restez pas à l'exemple sans proposer d'analyse charpentée.

Principes méthodologiques essentiels

a. La dissertation est un exercice technique d’analyse conceptuelle, d’argumentation et de raisonnement.

Elle n’est pas un exercice d’histoire de la philosophie, de récitation ou d’érudition. Elle n’est pas non plus un exercice de style, d’originalité ou de littérature.
Cela signifie notamment que vous avez besoin, pour réussir une dissertation, d’avoir développer certaines compétences intellectuelles, et de les mettre activement en pratique face à un sujet donné.
Les connaissances philosophiques et extra-philosophiques sont utiles mais aucune connaissance particulière n’est indispensable. C’est pourquoi il n’y a aucune raison de paniquer face à un sujet auquel vous n’avez jamais réfléchi ou qui ne vous évoque rien dans l’immédiat. Armés de votre bon sens et des compétences techniques nécessaires, vous pouvez faire une bonne dissertation.
Face à un sujet, il ne faut pas régurgiter des connaissances antérieures, il faut lire, analyser, développer et explorer le sujet !

b. En conséquence, n’oubliez pas quelles compétences vous devez acquérir :

i) la dissertation est un exercice d’analyse conceptuelle :
l’essentiel du travail consiste à analyser le sujet et les notions qu’il contient. Vous devez être capables de fixer le sens des mots pour raisonner à partir de véritables notions.
ce travail implique un effort de définition, mais aussi un effort de réflexion sur les objets concrets auxquels renvoient ces notions dans le monde.
demandez-vous en permanence, au fil de votre dissertation : 1) est-ce que je parle toujours du sujet ? 2) est-ce que je parle toujours du même objet, quand j’emploie le même mot ?, 3) est-ce que ce que je dis de la notion est pertinent pour les objets qu’elle désigne ?

ii) la dissertation est un exercice d’argumentation :
l’essentiel du travail consiste à défendre et critiquer des thèses. Vous devez être capables d’avancer des arguments pour ou contre les thèses que vous formulez.
ce travail implique un effort d’évaluation et de justification : l’affirmation d’une thèse n’a aucune valeur si elle n’est pas accompagnée des raisons qui la fondent.
demandez-vous en permanence, au fil de votre dissertation : 1) est-ce que j’utilise (à bon escient) le connecteur logique « donc » ? 2) est-ce que ce que je dis est vraiment convaincant ? 3) est-ce que je sais à quelle question et à quel problème la thèse que j’avance répond ?

iii) la dissertation est un exercice de raisonnement :
l’essentiel du travail consiste à proposer un raisonnement progressif et cohérent, répondant à la question posée en introduction. Vous devez être capable d’articuler des arguments.
ce travail implique un effort de construction d’une démonstration : un raisonnement n’est pas un catalogue de thèses ou d’arguments mais un parcours qui avance de façon nécessaire en abordant une par une les difficultés selon un ordre logique.
demandez vous en permanence, au fil de votre dissertation : 1) est-ce que ce développement est vraiment utile au raisonnement d’ensemble ? 2) est-ce que j’arrive à rester cohérent et à ne pas me contredire? 3) est-ce que la direction dans laquelle je progresse et les étapes par lesquelles je passe apparaissent nettement ?

c. Enfin, trois exigences doivent vous guider en permanence : clarté, précision et rigueur.
La dissertationest un exercice de clarification et d’ordonnancement de la pensée.

Méthode de la dissertation

a) Analyse du sujet

Lire plusieurs fois le sujet, sans partir tout de suite dans une direction précise. Prendre le temps de vérifier qu’on en comprend les termes, qu’on voit les nuances dans le choix des mots. Laisser le temps aux idées de venir dans le désordre, à l’esprit de se mettre en route. Faire attention à la forme du sujet : usage du singulier ou du pluriel, de la minuscule ou de la majuscule, de la conjonction, etc.

Analyse des notions : analyser les notions mentionnées dans l’intitulé, prises séparément. Il ne s’agit pas de se jeter sur la première définition intuitive qui vient à l’esprit mais de construire rigoureusement une définition philosophique. Quelques remarques :
Une bonne définition est une définition qui englobe tous les objets qui sont désignés par la notion considérée et aucun objet qu’elle ne désigne pas. Il faut donc tester la définition élaborée avec des exemples : faire une liste d’objets variés désignés par la notion mais aussi d’objets proches qui ne le sont pas, puis se demander dans chaque cas si la définition permet de tracer une frontière nette entre les uns et les autres.
Il faut commencer par rédiger une définition, puis la relire, la corriger, la modifier jusqu’à atteindre la plus grande précision possible. Il faut définir la notion par rapport aux notions opposées, et par rapport aux notions les plus proches. Quelle est la spécificité de la notion considérée par rapport à la ou les notions contraires, par rapport aux notions voisines ?
(Il faut donc également définir ces autres notions).
Faire attention à considérer tous les sens de la notion, ne pas faire disparaître la pluralité des significations possibles (même si certaines seront abandonnées plus tard, car non pertinentes).

Analyse du sujet : analyser les notions les unes par rapport aux autres, selon l’agencement suggéré par le sujet. Mettre en rapport les analyses des différentes notions, éliminer les sens non pertinents et dégager les différentes significations que peut endosser le sujet. Reformuler le sujet et se demander à chaque fois ce qui est conservé et ce qui est perdu par rapport à la formulation originale, pour mieux saisir la spécificité de celle-ci.

Recueil des idées. Ce travail d’analyse va provoquer toutes sortes d’associations d’idées, qu’il faut noter dans un premier temps sans en rejeter aucune. Entreprendre une triple liste, à compléter au fur et à mesure du travail de préparation : lister i) les thèses et les arguments liés au sujet, ii) les exemples et les domaines d’application de la question, iii) les auteurs et les textes maîtrisés qui sont pertinents et utilisables. Prendre le temps de détailler en quelques lignes la nature de ces références et leur rapport avec le sujet, sans privilégier d’abord des pistes par rapport à d’autres.

Entreprendre une mise en ordre des idées. Toutes les idées apparues pendant le travail d’analyse demandent à être systématiquement éprouvées. Ce ne sont, avant la mise en ordre rigoureuse que constitue le travail de réflexion philosophique, que des clichés, c’est-à-dire des idées toutes faites, des lieux-communs. Elles doivent être reformulées sous forme de propositions précises, qui doivent ensuite être méthodiquement soumises à une série d’interrogations :
que signifie p ?
quels arguments permettent d’affirmer que p ?
qu’est-ce qui constitue un bon exemple de p ?
quel est le champ d’application de p ?
que serait la proposition opposée à p, non-p ?
pourquoi ne peut-on pas affirmer que non-p ?
quels sont les présupposés de p ?
quelles sont les conséquences de p ?
p est-elle compatible ou incompatible avec les autres propositions (q, r, s) envisagées ?
etc.


Poser systématiquement ses questions vous permettra d’éprouver les lieux communs qui viennent spontanément à l’esprit, mais aussi de d’exploiter toute la richesse des idées que vous conserverez.

Elaborer une problématique, c’est-à-dire un problème et une question. Votre dissertation a pour but de répondre à une question (qui vous est directement donnée si le sujet est sous forme interrogative). Mais une question n’a de sens que par rapport à un problème, c’est-à-dire une difficulté qui fait qu’on a besoin de poser la question.
Un problème est typiquement constitué par deux propositions à la fois nécessaires et contradictoires. C’est parce qu’il y a difficulté, contradiction, paradoxe, quand on essaie de penser le sujet, qu’il y a de quoi faire une dissertation.
Une problématique c’est une question et un problème qui la fonde. Il n’y a pas de problématique obligée, pas de problématique déjà toute faite. Si vous identifiez plusieurs problèmes, choisissez celui qui vous paraît le plus riche, le plus intéressant, et surtout le plus spécifiquement lié au sujet. Le travail d’analyse des notions, de repérage des références et de mise en ordre des idées fera apparaître un nombre limité de sous-questions (et de sous-problèmes), c’est-à-dire de difficultés qu’il faut affronter une à une pour répondre à la question principale.

b) Construction du plan

Construire le plan général de la dissertation, c’est-à-dire l’ensemble ordonné et structuré des sous-questions qui vont guider l’effort de raisonnement et vous permettre de répondre à la question principale. Choisir la meilleure méthode (la plus logique) pour résoudre le problème posé. Sélectionner les sous-questions à poser, les hiérarchiser, les ordonner, préciser leurs formulations. Cela donne la structure générale du plan.

Construire le plan de chaque partie. Faire au niveau de la partie le travail fait au niveau du développement tout entier à l’étape précédente.

Construire le plan de chaque paragraphe. Un paragraphe doit être organisé autour d’une thèse et répondre à la structure suivante :
une sous question (qui ne doit pas forcément être explicitement formulée sous forme de question mais doit être clairement repérable)
une thèse répondant à la question (et autour de laquelle le paragraphe est construit)
une argumentation soutenant la thèse
un exemple soutenant l’argumentation
une référence philosophique utile pour l’argumentation ou la compréhension de la thèse (pas forcément à chaque paragraphe : ne pas mettre des auteurs juste pour les mettre)
une transition vers la sous question (et donc le paragraphe) suivante
Remarque : A chacune des étapes de construction du plan, l’élaboration de la structure d’une partie va entraîner la correction de la structure d’ensemble, et vice et versa. C’est un processus dynamique de correction entre les différents niveaux de structure. Veillez à rester cohérents !

Rédiger les transitions au brouillon. Les transitions sont extrêmement importantes. Elles expriment les liens logiques reliant les différents paragraphes et les différentes parties. Elles donnent son unité au du raisonnement proposé. Elles doivent être claires, soignées et détaillées.

Rédiger l’introduction et de la conclusion au brouillon. Apporter un soin extrême à la construction, au choix des mots, au style et à la correction du français. L’introduction et la conclusion sont les moments les plus importants de votre dissertation : elles manifestent l’essentiel de votre démarche et c’est ce que les correcteurs lisent en premier et avec le plus d’attention.

c) Rédaction

Rédiger linéairement le développement.

A chaque fin de paragraphe, relire le paragraphe écrit pour vérifier l’orthographe et la grammaire, la cohérence argumentative, et la pertinence par rapport au sujet et au propos. Constamment vérifier qu’il n’y a pas eu « dérive » vers un autre problème ou un autre sujet que ceux considérés : comparer à l’intitulé donné et au plan établi.

A chaque fin de partie, relire la partie toute entière. Même démarche que pour le paragraphe.

Rédiger ensuite, à partir du brouillon, mais en incorporant les changements et corrections qui interviennent forcément en cours d’écriture, la conclusion et l’introduction.

Tout relire, pour vérifier l’orthographe et la grammaire, le style, les lapsus, etc. Traquer toutes les fautes de français !

Quelques conseils :
Adopter un mode de présentation clair : sauter des lignes entre les parties, aller à la ligne à chaque nouveau paragraphe.
Ecrire proprement et lisiblement.
Ecrire simplement : faire des phrases assez courtes à la structure simple
Posez-vous constamment les questions formulées dans la première partie de ce texte.
N’oubliez pas, il faut principalement viser la clarté, la précision et la rigueur.

Organisation de l’introduction

Voici à quoi doit ressembler votre introduction.

1. Accroche : partir d’une difficulté du sens commun, d’une remarque intuitive qui ancre la discussion d’emblée dans le cadre du monde réel et non seulement de l’histoire de la philosophie. Partir de ce que désignent, très empiriquement, les notions mentionnées dans le sujet. (Facultatif)
2. Définition de la/des notion(s) : proposition d’une définition minimale qui permette de délimiter ce dont on parle et de justifier le caractère problématique du sujet.
3. Exposition du problème : présentation de la difficulté conceptuelle qui justifie la mise en œuvre d’une réflexion philosophique.
4. Formulation de la question : formulation de la question qui sera traitée dans la dissertation et va servir d’axe directeur, d’angle d’attaque, pour affronter le problème posé.
5. Exposition des enjeux de la problématique : expliquer les enjeux de la question choisie, en quoi la réponse apportée modifiera la compréhension du problème. (Facultatif)
6. Annonce de la méthode: présentation de la démarche qui va être mise en oeuvre pour répondre à la question. Cette présentation recoupe l’annonce du plan (des parties du développement). Il ne s’agit pas d’énoncer les thèses qui vont être défendues, mais les interrogations qui vont guider les moments successifs du raisonnement.

Organisation du développement

Le développement d’une dissertation est constitué de plusieurs parties (entre deux et quatre) elles-mêmes composées de plusieurs paragraphes (idem). Parties et paragraphes sont reliés entre eux par des transitions. Il n’y a jamais LE bon plan : différents types de plans peuvent être suivis, l’important est que le plan traduise la structure argumentative de la réflexion proposée. Il doit manifester la structure d’une démonstration continue au sein de laquelle les arguments s’enchaînent selon un ordre nécessaire. Faire un plan simple et clair, facilement compréhensible.

Quelques types de plan à éviter :
Il faut absolument éviter le plan I) Thèse ; II) Antithèse ; III) Synthèse, qui consiste à présenter deux points de vue apparemment vrais et contradictoires, avant de trouver une solution pour les concilier. La phase Thèse/Antithèse correspond en gros à l’exposition du problème en introduction (mais attention : le problème ne doit pas être une contradiction logique, « type A et non-A »). Tout votre développement doit être consacré à la synthèse (sortir du problème).
Il faut absolument éviter le plan chronologique. Type I) Platon ; II) Descartes ; III) Kant.
Il faut absolument éviter le plan où chaque partie est construite autour d’un auteur ou d’un texte et pas autour d’une sous-question. La dissertation est un travail d’argumentation nourri par la lecture des philosophes, et non un travail d’histoire de la philosophie ou d’exposition de doctrines.
Il faut absolument éviter le plan construit en réunissant des thèses hétéroclites par bouquets plus ou moins thématiques. Une dissertation n’est pas un catalogue de nombreuses thèses, c’est la mise à l’épreuve ordonnée et systématique de quelques thèses.
Il vaut mieux éviter le plan où chaque partie est consacrée à un sens particulier de la notion principale : le risque est d’avoir trois mini-dissertations juxtaposées sans unité. Ou alors il faut justifier ce découpage par un principe d’enchaînement logique non arbitraire.

Organisation de la conclusion

1. Formulation de la réponse apportée à la question posée : répondre brièvement à la question présentée en introduction en en reprenant la formulation. La réponse apportée peut être une réponse complète ou partielle : ne pas pouvoir régler entièrement le problème abordé n’est pas en soi un problème, mais il importe de pouvoir présenter clairement et avec concision les résultats, mêmes modestes ou incomplets, du travail de réflexion accompli.
2. Résumé de la démarche accomplie : récapituler la méthode et les étapes de la réflexion, les principales thèses soutenues ou réfutées, les questions laissées ouvertes, etc. Ressaisir le raisonnement qui permet de défendre la réponse proposée.
3. Retour sur les enjeux : revenir sur la formulation initiale du problème et sur ce qu’apporte la réponse proposée. Comment modifie-t-elle la difficulté initiale ? Celle-ci est-elle résolue ou déplacée ? Ce retour sur les enjeux du problème peut évoquer les conséquences de la réponse apportée, aboutir à la formulation d’une nouvelle question, etc. (Facultatif)

Bilan : profil-type d’une dissertation

Introduction : Accroche (Facultatif) 
Définition des notions
Exposition du problème
Formulation de la question
Présentation des enjeux
Annonce de la méthode

Partie I : Formulation de la sous-question guidant la partie
Paragraphe 1
sous question (explicite ou implicite)
thèse
argumentation
exemple
référence philosophique (non obligatoire)
transition vers paragraphe 2
Paragraphe 2
Paragraphe 3
Transition vers la partie II

Partie II
Etc.

Conclusion : Formulation de la réponse apportée
Résumé de la démarche argumentative
Retour sur les enjeux